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loup et les hommes - pirotteL'avis d'Anouk:

 

Un souffle puissant, des personnages habités et un sens imparable du romanesque: Emmanuelle Pirotte ne manque pas de panache. "Loup et les hommes" le confirme en 700 pages que l’on ne peut lâcher. Du Gévaudan à la Nouvelle France, Emmanuelle Pirotte lance ses personnages dans une quête effrénée. Secrets de famille, rivalités, déconvenues, amours impossibles et embuscades: tous les ingrédients sont là pour faire de "Loup et les hommes" un somptueux roman d’aventures.

Il s’ouvre dans le Paris mondain du 17e siècle. À la faveur d’une rencontre, Armand de Canilhac éprouve l’impérieux besoin de faire la paix avec son passé. Il lui faudra pour cela remonter la piste de son frère Loup, disparu depuis plus de vingt ans. Loup, solaire et cruel, souverain et débauché, miroir inversé de l’inquiet Armand, aurait-il trouvé sur les rivages sauvages de l’Amérique un territoire à sa mesure ?

Dans un savant mélange d’effroi et de délectation, tenu en haleine par un rythme ébouriffant, le lecteur suit les trajectoires des deux frères et de bien des personnages attachants et inoubliables. Mais au-delà du voyage et de l’aventure, Loup et les hommes est aussi, et peut-être surtout, un roman sur la part sauvage inscrite au cœur de tout homme, de toute histoire, de tout paysage. La connaître et l’apprivoiser, oser s’y risquer: sans doute est-ce là une frontière bien plus périlleuse à traverser qu’un océan. Et Emmanuelle Pirotte y invite avec brio.

Le Cherche Midi, 22.70 €btn commande

 

foret obscure - kraussL'avis de Régis:

Livre après livre, de L’histoire de l’amour à La grande maison, Nicole Krauss poursuit une réflexion profonde sur l’essence-même de la littérature. Le doute, la perte, le souvenir, ce qui se dérobe, échappe et tente de se dire, tout cela est encore, et plus que jamais, au cœur de Forêt obscure.

Titre polysémique, obsédant et mystérieux, pour un livre qui se lit comme on vit une expérience à la fois belle, douloureuse, étrange et révélatrice.

Deux récits s’y entrecroisent: l’un (en « il ») autour de la disparition à Tel-Aviv d’un riche américain d’âge mûr, l’autre (en « je ») centré sur Nicole, auteure new-yorkaise en vue, fuyant en Israël un mariage qui se meurt et une panne sèche d’écriture.

Il y a certes des échos entre ces deux personnages, ces deux destinées mais Nicole Krauss ne s’en contente pas pour faire vivre son intrigue. Nous suivrons ces deux-là jusqu’au bout de leur quête, traversant villes, déserts et forêts profondes. Deux expériences de la fuite mais aussi, et surtout, d’un bouleversement, d’une « métamorphose ».

Krauss interroge les limites du réel et de la fiction, voire de l’autofiction, comme lorsque Nicole (le personnage) ressent épisodiquement l’existence d’univers parallèles, d’autres possibles. Ou lorsqu’un troisième personnage, Kafka lui-même, vient hanter les pages de ce roman, comme pour nous faire entrevoir un autre temps, un autre espace. La présence fantomatique du grand écrivain ouvre encore d’autres voies à notre façon de lire le réel.

Roman onirique, mystique, psychanalytique où la forêt est omniprésente, symbolisant tout à la fois le sentiment de perte et d’égarement mais aussi la protection, le repli, la « chambre à soi », un lieu de régénération. Forêt obscure est un livre rare, qui réussit tout à la fois à nous guider et à nous perdre. Un véritable chef-d’œuvre.

Nicole Krauss est LA grande auteure américaine de notre temps !

 

Éditions de l'Olivier, traduit de l'anglais (États-Unis) par Paule Guivarch, 23 €btn commande

un monde a portee de main - kerangalL'avis d'Anouk:

« Un autre monde se tient là, juste derrière, à portée de main ».

Être présent à ce monde-là, l'habiter et le faire sien : c'est le chemin qu'emprunte Paula Karst, cœur vibrant et lumineux du nouveau roman de Maylis de Kerangal.

Paula a vingt ans, elle tâtonne sans passion jusqu'au jour où elle s'inscrit dans une école bruxelloise pour y apprendre l'art du trompe-l'œil. Le choix déconcerte ses proches, mais il a pour elle la force de l'évidence – comme une nécessité. Dans sa nouvelle vie bruxelloise, Paula se confronte à l'exigence, à l'épuisement physique, à la difficile appropriation des techniques et des matériaux. La peinture de décors semble un art modeste et sans flamboyance. C'est là pourtant que Paula et ses compagnons d'atelier trouveront la clé qui leur ouvre un monde à portée de main.

 

Quatre ans après Réparer les vivants, un livre dont l'onde de choc n'a pas fini de se propager et qui a fait d'elle une romancière internationalement reconnue, sélectionnée pour le prestigieux Man Booker International Prize, on attendait avec impatience le nouveau roman de Maylis de Kerangal.

Un monde à portée de main, acéré, virtuose, foudroyant dès sa première phrase, ramasse les thématiques qui depuis toujours irriguent une œuvre profondément cohérente : la jeunesse et son énergie crépitante, la matérialité du monde et des corps, l'attention au geste et au savoir-faire. On retrouve aussi, avec quel bonheur, une écriture inventive et joueuse, qui tend des fils entre l'imaginaire et le documentaire. La phrase est ample, au confluent du dialogue et de la pensée, et attrape au plus serré notre contemporain.

Dans ce roman comme dans les précédents, Maylis de Kerangal joue de la fiction pour donner à penser. Elle fait surgir l'émotion là où personne ne l'attend, dans la technicité des savoirs scientifiques : l'ingénierie dans Naissance d'un pont, la médecine de pointe dans Réparer les vivants, les techniques picturales aujourd'hui. Elle met en perspective notre 21e siècle en l'inscrivant dans le temps long de l'histoire.

 

Mais Un monde à portée de main, s'il poursuit le sillon que Maylis de Kerangal trace de livre en livre, s'aventure aussi sur des chemins nouveaux. La dimension épique et chorale des précédents romans cède la place à une approche plus centrée, plus intimiste. C'est le personnage de Paula qui impulse le livre, et nous sommes au plus près d'elle et de sa perception du monde. Kate et Jonas, élèves de la même école devenus proches parmi les proches, sont bien plus que des personnages secondaires, mais c'est bien Paula qui est de bout en bout notre « instrument d'optique » (comme elle le dit d'Anna Karénine).

Chemin nouveau aussi en ce que Un monde à portée de main apparaît comme une réflexion sur la création, une tentative de rassembler sous la fiction les éléments d'un art du roman. Paula et ses pinceaux tendent évidemment un miroir au travail de l'écrivain. On ne peut pas s'empêcher de penser à l'écrivain à sa table lorsque l'on lit : « et dans ce bruit, Paula commence à peindre, condense en un seul geste la somme des récits et la somme des images, un mouvement ample comme un lasso et précis comme une flèche ». Pour autant, la démarche de Maylis de Kerangal n'est jamais démonstrative. Elle s'avance à bas bruit et ébranle par son humilité : elle, la romancière partout saluée et reconnue, choisit pour parler d'art la modestie de la peinture de copie, qui tient davantage de l'artisanat que de l'art avec un grand A. C'est une jolie leçon de vie et d'audace, comme une invitation à regarder ce monde qui nous entoure, à nous approprier ses contours et à créer là, juste là, à portée de main, un monde peut-être meilleur. « Il y a davantage dans ce monde, songe-t-elle, davantage de manières de le voir et de le raconter ».


Verticales, 20 €btn commande


Maylis de Kerangal présentera "Un monde à portée de main" à la librairie le mardi 11 septembre à 20 heures. Pour vous inscrire: Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

esperlueteAujourd'hui l'été tend les bras. Le temps est venu de musarder, d'être curieux, de mettre entre parenthèses la frénésie du quotidien pour se nourrir l'âme et le coeur. Et si l'on faisait le pari de délaisser les voies balisées, les listes de best-sellers vite lus et plus vite encore oubliés? Et si l'on se donnait le temps d'être habités par nos lectures, de les laisser faire écho à nos désirs, à nos amours, à nos angoisses et nos révoltes?

C'est à ce chemin-là de lecture que nous convient depuis 20 ans les éditions Esperluète.

echelle jacob - oulitskaiaL'avis d'Anouk:

"Elle éprouvait un sentiment étrange et très fort: elle, Nora, la seule et unique Nora, voguait sur un fleuve avec derrière elle, se déployant en éventail, ses ancêtres, trois générations de personnes immortalisées sur des photos, avec des noms qu'elle connaissait, et derrière eux, dans les profondeurs de ces eaux, une suite sans fin d''ancêtres anonymes, des hommes et des femmes qui s'étaient choisis par amour, par passion, par calcul, sur l'injonction de leurs parents, qui avaient produit et protégé une descendance, et ils étaient une multitude immense, ils peuplaient toute la terre, les berges de toutes les rivières, ils croissaient et se multipliaient afin de la produire elle, Nora, et elle, elle produisait son seul et unique Yourik, et lui produisait encore un petit Jacob, et cela donnait une histoire sans fin à laquelle il était si difficile de trouver un sens, bien qu'il palpitât clairement en un fil ténu".

Dans un pays qui s'appelait encore l'URSS, une généticienne se voit du jour au lendemain congédiée de son institut de recherche. Son crime ? Les autorités ont découvert que sa machine à écrire a servi à copier des samizdats. Rendons grâce au zèle de la police soviétique, prompte à traquer les âmes dissidentes : nous lui devons la naissance d'une immense écrivaine.

De Ludmila Oulitskaïa, il faut tout lire. Ses nouvelles, admirables. Ses romans brefs, sublimes. Ses chroniques, percutantes. Et plus que tout il faut lire ses amples fresques, Sincèrement vôtre, Chourik, Le chapiteau vert ou aujourd'hui L'échelle de Jacob. L'intelligence romanesque qui s'y déploie, leur exceptionnel sens du détail, les vies rugueuses et tourmentées que l'on y croise – tout dans les livres de Ludmila Oulitskaïa nous fait éprouver, au sens le plus fort, notre appartenance à la famille des hommes.

L'échelle de Jacob qui paraît aujourd'hui retrace un siècle de destins tissés avec brio. Le roman s'ouvre en 1975, une époque où le cours de l'histoire semble s'être figé en URSS. Nora vient d'avoir un fils, sa grand-mère meurt, une malle en osier et les lettres qu'elle contient passent de l'une à l'autre. Dépositaire de l'histoire de ses grands-parents, Nora mettra toute une vie à déplier les secrets qu'elle recèle. Et nous voici embarqués à ses côtés pour un voyage époustouflant, où il sera question d'amours entravées, d'illusions perdues, de courage et de liberté, de solidarité et de trahison. Autant de questions qui étaient déjà au cœur du Chapiteau vert, et qui prennent ici une dimension plus bouleversante encore lorsque l'on comprend que l'histoire de Nora et des siens est, à peine transposée, celle de la famille de Ludmila Oulitskaïa.

Traduit du russe par Sophie Benech, Gallimard, 26 €btn commande