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monarque des ombres - cercasL'avis de Clémence :

Dans l’Espagne des années 1930, un jeune utopiste s’engage du côté franquiste pour des idéaux qui le dépassent. Manuel Mena, incarnation type de la jeunesse révoltée, trouvera la mort au combat durant la bataille de l’Ebre en 1938. Grand-oncle de Cercas, l'auteur se plonge dans l'histoire familiale et remet en question l’idéologie de cet homme dû à son engagement rapide et extrême en menant une enquête approfondie. Toute la question résidera dans le choix d’écrire un roman sur un individu luttant pour les mauvaises causes sans l'ériger au rang de héros. Cercas optera pour la prise de distance constante et la justesse des faits rapportés. Roman d’investigation, l’auteur affronte les fantômes du passé s’entourant de personnes fortes telles que sa mère ou encore le réalisateur et écrivain Trueba. Une vieille maison familiale dans un petit village d’enfance sera le point de chute de toutes ses révélations et le socle qui permettra à Cercas d’assumer les responsabilités de ses ancêtres. Un dilemme se profile devant lui: ne pas dévoiler ce passé honteux ou témoigner pour prendre part à l’Histoire. Il choisira finalement de rendre ses recherches publiques. La mémoire individuelle de Cercas apporte alors un éclairage à la mémoire collective et, par cet engagement, donne voix à toutes les victimes. Dans une époque où l’Espagne est encore en reconstruction suite à cette guerre Civile, la littérature devient une source de réconciliation et d’acceptation du passé tout en responsabilisant les coupables. Le Monarque des Ombres s’inscrit donc dans cette littérature post-traumatique qui joue un rôle cathartique tout autant pour Cercas que pour la société espagnole. L’indicible et la honte sont deux barrières que l’auteur dépasse merveilleusement bien à l’aide d’un langage historique et de multiples témoignages. Ce récit autobiographique touchant ouvre les portes d’une histoire intime et nationale qui nous tient en haleine du début à la fin et nous éclaire sur des passages sombres et cachés d’une période marquante.

Actes Sud, traduit de l'espagnol par Aleksandar Grujicic, 22,50 €btn commande

isidoreetlesautresL'avis de Clémence :

Isidore a onze ans et est un garçon parfaitement ordinaire. Ses préoccupations consistent en séduire la belle Sarah et ne pas être aperçu seul à la récré. Il est aimable, curieux, persuadé que son père est espion car il disparaît parfois, habité par l'imagination d'enfant. Pourtant, une manie l’habite: frotter sans cesse une tache qui lui résiste sur un fauteuil. Ce détail trahit un souci plus profond: dans sa famille, il est né différent des autres et y fait « tache ». Ses 5 frères et sœurs sont surdoués, conversant de Nietzsche et de Deleuze comme s’ils évoquaient leurs amis, rédigeant des thèses à 17 ans, se moquant de l’idiotie du bas peuple et élaborant des théories sur les situations de la vie. Isidore n’est pas comme eux car il aime parler des sentiments et comprendre le dédale des émotions. Un jour, le père est victime d’un accident. La dynamique de la famille change et, contre toute attente, c’est Isidore qui devient le point de repère. Ses frères et sœurs qui, jusque-là, pensaient leur existence parfaite se confrontent à leur mal-être. Ils se tournent alors vers le seul capable de déchiffrer ce tumulte des émotions. Isidore deviendra donc l’épaule sur laquelle pleurer, le copain à qui se confier, le témoin des déboires de certains mais, surtout, celui qui les valorisera. Il passera ses soirées au chevet de sa mère pour lui lire des histoires rassurantes. Pour un garçon ordinaire, il est plutôt coriace, sensible et généreux. Tout est perçu à travers son regard d'enfant naïf et pur. A cela s’ajoute une dimension enjouée et une certaine légèreté malgré les épisodes parfois tragiques. Isidore a le don de relativiser les événements complexifiés par les adultes. On pourrait y voir l’incarnation de l’intelligence émotionnelle qui manque à tous ceux qui l’entourent. Camille Bordas nous rappelle donc que l’humanité doit prévaloir sur les grandes théories et qu’il est bon d’être en compagnie d'un Isidore au cœur d’or et aux mots apaisants pour affronter les difficultés de la vie. Roman frais et profond, cette saga familiale vous fera passer par toutes les émotions.

Inculte, 19,90 €btn commande

ca raconte sarah - delabroy allardL'avis d'Anouk:

Dans la pénombre de 3 heures du matin, une femme regarde dormir une autre femme.

Elles se sont trouvées, aimées, dévorées, consumées, perdues, retrouvées. Leur amour a l'odeur du soufre. "Le soufre est un corps simple. C'est l'élément chimique de numéro atomique 16. De symbole S". Elles ont tout brûlé de leurs vies d'avant, les routines, les convenances, les illusions. "Ça raconte le moment précis où l'allumette craque, le moment précis où le bout de bois devient feu, où l'étincelle illumine la nuit, où du néant jaillit la brûlure. Ce moment précis et minuscule, ce basculement d'une seconde à peine. Ça raconte Sarah, de symbole S".

Le titre nous l'indique déjà: tout pulse chez Pauline Delabroy-Allard, la vie irrigue chaque ligne de cet épatant premier roman. Une énergie peu commune, du rythme, l'audace d'une langue réinventée, vive et virtuose. "Ça raconte Sarah", c'est une histoire d'amour comme on en lit rarement, d'une tragique intensité. Pour l'éclairer, Pauline Delabroy-Allard convoque avec grâce Marguerite Duras et Alain Resnais, Shakespeare et James Joyce, Schubert et Truffaut, mais jamais ces grands noms n'écrasent la singularité et la fraîcheur de sa voix.

Ne passez pas à côté de ce premier roman: un éblouissement!

Minuit, 15 €btn commande

pense aux pierres - wautersL'avis de Régis:

Antoine Wauters signe en cette rentrée deux romans époustouflants chez Verdier, maison d’édition discrète et prodigieuse. De Pierre Bergounioux à Michèle Desbordes, de Pierre Michon à Mathieu Riboulet, leur catalogue regorge de merveilles!

Quatre ans après Nos mères (Verdier, 2014 – Prix des auditeurs de la Première), voici deux récits écrits dans des laps de temps différents mais finalisés et publiés conjointement il y a quelques jours.

Pour autant, Pense aux pierres sous tes pas et Moi, Marthe et les autres ne sont pas directement reliés. Des échos se font entendre de l’un à l’autre. Un certain fracas aussi. Mais ils ont chacun leur vie propre, et leur rythme, et leur écriture.

Pense aux pierres sous tes pas, le plus narratif des deux, se déroule dans un pays imaginaire et pourtant proche. Léonora et Marcio sont de jeunes jumeaux qui (sur)vivent dans la ferme familiale, soumis à des parents pauvres et d’une violence sans limite. Le pays passe d’une dictature à l’autre, et les promesses du nouveau président sont autant de violences faites au petit peuple. Roman d’un amour fou entre une sœur et son frère, roman politique sur le populisme ambiant, roman de la séparation, Pense aux pierres sous tes pas est un livre d’une beauté rare, incandescente, inoubliable. Le lecteur y côtoie la douleur, la folie, l’épuisement tout autant que l’espoir, la rage d’avancer, de changer. « On voulait le faire parce qu’on ne dit pas assez que les ombres peuvent être terrassées. Et qu’on a tous besoin de clarté. » Dans des paysages immenses, Antoine Wauters fait surgir des corps. Qui plient sous le travail, qui tremblent de désir, qui marchent. Ce livre est une traversée. Et ses pages font jaillir une lumière retrouvée.

moi marthe - wautersDans Moi, Marthe et les autres, tout a disjoncté. Ville éclatée : Paris, ou ce qu’il en reste, après la catastrophe. Monde post-apocalyptique, en ruines. Des survivants s’organisent, pillent, tuent, se dévorent dans les rues désertes et les métros désaffectés. Le groupe que l’on suit est fait de filles et de garçons sans mémoire, des errants, des lambeaux d’humains ou des êtres nés après. Ils mangent ce qui est mangeable, baisent comme bon leur semble, mais cherchent surtout à tenir. À retrouver une forme de vie.

 

En une septantaine de pages « trouées » (certains mots sont comme atrophiés), ce sont 192 fragments ou microparagraphes qui clouent le lecteur au mur. Et de cette anarchie totale naît une urgence qui s’impose. Celle de vivre et d’espérer.   

Verdier, 15 € et 12.50 €btn commande