librairie
point virgule

Rue Lelièvre, 1 B-5000 Namur | Tél. : +32 (0)81 22 79 37 | info@librairiepointvirgule.be | Du lundi au samedi de 9h30 à 18h30

fuki no to - shimazakiL'avis d'Anouk:

Aki Shimazaki, ou la voix la plus secrète de la littérature japonaise...

Née au centre du Japon, Aki Shimazaki vit à Montréal depuis 1991 et y écrit, en français, une œuvre éminemment singulière qui s'organise en pentalogies. De livre en livre, Aki Shimazaki ouvre des fenêtres finement ajourées sur les recoins cachés de la mentalité japonaise. Ses romans sont brefs, épurés, ils tiennent au creux d'une main et sont de précieux compagnons de vie pour leurs lecteurs.

Fuki-no-tô appartient au cycle « L'ombre du chardon », qui explore les hasards dont sont tissés nos existences. Atsuko a repris l'exploitation agricole de son père pour la convertir en ferme biologique. Elle y travaille avec constance et acharnement. Lorsque le hasard met sur sa route Fukiko, une amie d'adolescence perdue de vue depuis vingt ans, Atsuko voit s'affoler la sage cartographie de ses désirs. La passion amoureuse fera céder l'une après l'autre les digues émotionnelles érigées par toute une vie d'abnégation.

Avec une infinie délicatesse et en tendant à ses héroïnes un sublime et fragile miroir végétal, Aki Shimazaki fait le récit d'une passion qui est tout à la fois un chemin d'abandon et d'émancipation.

Fuki-no-tô sera lu au cours de l'Intime Festival par Valérie Bonneton

Actes Sud, 15 €btn commande

Dandys et excentriques - GrozdanovitchL'avis de Delphine

 

Denis Grozdanovitch, intellectuel vagabond et érudit buissonnier, poursuit son chemin de traverse et nous propose, cette fois, un cabinet de curiosités d’un genre particulier : une collection d’excentriques et de dandys de tout poil, deux catégories aux frontières poreuses dont il peint, sans les confondre, les nuances et les affinités. On y croise pêle-mêle une vieille aristocrate et ci-devant grande bourgeoise en rupture de ban, un passionné d’échecs paranoïaque et égaré dans notre siècle, un ermite zen japonais, Fernando Pessoa et Valéry Larbaud, Karen Blixen et Virginia Woolf, Pierre Bonnard et Bartleby, ou encore un cantonnier jardinier et philosophe.

Si les dandys s’ingénient, par diverses stratégies, à se distinguer de la foule et du commun, qu’ils méprisent, pour les excentriques, il ne s’agit pas d’intention mais d’essence : bon gré mal gré, ils se distinguent par une irréductible singularité qui les rend étrangers à la fois au monde comme il va, aux autres et, souvent, aux réalités concrètes de la vie quotidienne. C’est d’ailleurs ce qui, chez eux, fascine Grozadanovitch : leur idiotisme foncier, qui fait d’eux, consciemment ou non, des résistants à l’ordre ambiant et aux idéologies quelles qu’elles soient, des réfractaires aux exigences délétères d’utilité, d’efficacité, de rapidité et de rentabilité à tout prix. Ce que l’auteur admire aussi chez beaucoup de ces hurluberlus, c’est ce qu’il appelle le « dandysme minimal » : leur lutte pour maintenir, coûte que coûte et quelles que soient les circonstances, une haute dignité qui se manifeste par des formes variées d’esthétisme, ce qui rappelle que « sauver les apparences », loin d’être une préoccupation superficielle, est une affaire grave, profonde et salutaire.
 
Dans cette galerie de portraits souvent réjouissants, parfois inquiétants ou pitoyables – au sens premier – Grozdanovitch développe une réflexion stimulante sur les rapports entre le singulier et le multiple, entre la norme et la divergence. Il met aussi en lumière les apories d’un dandysme radical et le paradoxe de l’extrême singularité : si elle sauve du conformisme et de l’uniformisation, elle voue généralement à la solitude et à la mélancolie.

Certes, on pourrait reprocher à l’auteur une légère complaisance : quand on n’appartient pas à l’espèce des excentriques et qu’on se trouve dans la position de l’observateur, il est aisé de se réjouir du spectacle des bizarreries d’autrui et d’y voir un contrepoint à son « classicisme », un antidote à la fadeur et à la trivialité de l’existence quotidienne – mais le lecteur peut difficilement échapper à ce travers ...

Comme à son habitude, Grozdanovitch signe un ouvrage passionnant et foisonnant, heureux mélange d’anecdotes, de descriptions et de digressions. Il y déploie un propos vivifiant, nourri de littérature autant que de philosophie, qu’elle soit occidentale ou orientale, et une pensée singulière et à contre-courant, exempte de tout dogmatisme et empreinte de scepticisme et d’humour, avec l’ambition de « proposer quelques stratégies éventuelles d’évitement […] à l’usage de ceux qui ne peuvent se résoudre à s’enfoncer tête baissée dans les tunnels de la termitière universelle et indifférenciée ».

 

Grasset, 23 euros 85btn commande

plongeur - larueL'avis d'Anouk:

« Tu vas voir, c'est de l'ouvrage ».

On n'avait pas menti au narrateur : un job à La Trattoria, resto hype de Montréal, c'est plutôt physique.

Tant mieux. Les rushes, la vaisselle sale, les légumes à éplucher, la mauvaise humeur des chefs... tout ça lui remet la tête sur les épaules, alors qu'il s'abîmait dans sa dépendance aux jeux d'argent et à leur poisseux engrenage – mensonges, solitude, vertiges du manque.

Sur les traces de Bébert, à peine plus âgé mais qui a déjà tout vécu (« il ressemble à Frank Black qui jouerait Kurtz dans Apocalypse Now, mais aussi un peu à un bouddha sur le speed »), le narrateur découvre la vie des brigades, toujours sous tension, et le réconfort entre collègues après les soirées en cuisine. On plonge avec eux dans la nuit montréalaise, pour le meilleur et pour tout le reste.

Fiévreux, vif, tendu tout au long de ses 500 pages, « Le plongeur » fascine par sa nature documentaire (vous n'irez plus jamais au restaurant sans penser à ce qui se joue dans les cuisines). La référence à George Orwell et à son fameux « Dans la dèche à Paris et à Londres » n'est pas usurpée : les enjeux ne sont plus les mêmes, mais la violence sociale n'a pas changé.

Stéphane Larue, qui a donné son prénom et sans doute beaucoup de lui-même à son personnage, nous initie en accéléré au québécois (dépaysement assuré) en même temps qu'il partage une solide et généreuse leçon de vie.

Son « Plongeur » met en appétit: un épatant premier roman.

Le Quartanier, 22 €btn commande