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043L'avis d'Adrien :

Durant son adolescence, une citadine passe tous ses étés dans une petite bourgade campagnarde du Morvan. Là, elle retrouve une bande de jeunes gars en gentil décrochage, aimant les bêtises et tuant leur ennui en les enchaînant. On sent bien le drame survenir, il surviendra, mais aussi toute la tendresse, la curiosité, l’intérêt et l’admiration mêlés face à cette bande de charmants renégats.

En exergue de ce premier roman, une phrase de « Sur la route » et c’est bien de cela qu’il s’agit de jeunes chevaux fous qui ici malheureusement ne prendront pas la route. Ajoutons qu’avec cette héroïne, narratrice d’aujourd’hui de ces événements d’hier, et la couleur particulièrement mélancolique du passé imparfait, c’est à une autre référence américaine qu’on pense, « Virgin Suicides ». Le drame humain n’ira pas jusqu’à l’extrémité des cinq sœurs Lisbon engluées dans un carcan trop étroit pour elles mais le drame social de cette France qu’on oublie est bien là.

Notre appréhension de se retrouver face à un nouvel "Eté des charognes" ou "Leurs enfants après eux" est vite tue par le style de Vinca Van Eecke et l’angle adopté par cette dernière. L’autrice nous livre un beau portrait doux amer de la jeunesse de la France périphérique, un « Péril jeune » dans les campagnes du Morvan.btn commande

Seuil, 18 €

Disponible en version numérique par ici.

sous le ciel meurL'avis d'Anouk:

Quel plaisir de retrouver, cinq ans après l'étourdissante «Carte des Mendelsohn», l'intelligence pétillante et la finesse de Diane Meur !

On connaît le tropisme de la romancière pour la Mitteleuropa, où elle pose le cadre de la plupart de ses romans. C'est cette fois une Mitteleuropa d'opérette qu'elle déploie, facétieux décor de montagnes et de lacs dont la prospérité cache mal les failles: bienvenue au Grand-Duché d'Éponne. En plein cœur de l'Europe, ce micro-état ne s'arrache à sa torpeur qu'au rythme des transactions financières qui s'y jouent. Siège de nombreuses institutions bancaires internationales, Éponne a pour autant conservé ses habitudes placides, et «rien ne se transforme qu'à contrecoeur» sous son ciel trop lisse.


C'est là que Diane Meur installe sa comédie humaine, un théâtre joyeux et débridé où se tissent les destins de personnages hauts en couleurs. Prenez Féron: journaliste à succès, il a parcouru le monde et aspire désormais à une vie paisible. Pour soigner sa notoriété, il songe à écrire un roman. Et si l'inspiration lui manque, son éditeur a trouvé la parade: il suffit à Féron d'accueillir chez lui, pour quelques semaines, un candidat réfugié et de raconter leur vie commune – émotion et gros tirages assurés! Heureusement, le cynisme de Féron n'a pas gagné tout le monde à Éponne. Il reste quelques irréductibles qui veulent croire que l'utopie a de l'avenir et se rassemblent chaque semaine pour écrire collectivement un texte d'intervention censé secouer durablement le paysage politique du Grand-Duché.

Le roman de Féron, le pamphlet anticapitaliste: ces deux livres qui s'écrivent en parallèle tissent la trame de celui de Diane Meur. Le procédé pourrait être fastidieux mais s'avère sous sa plume alerte une géniale machination romanesque. Car bien entendu les choses vont dévier, les trajectoires sortir des chemins attendus, et dans ce débordement il faudra bien que chacun s'interroge sur ce qu'il fait de sa liberté: «N'est-on pas né pour, un beau jour, choisir son temps et ce qu'on veut en faire? Et si ce n'est pas maintenant, alors, quand?».

Sous ses allures de conte malicieux, «Sous le ciel des hommes» déplie toutes les grandes questions d'aujourd'hui: les dominations et les assignations, la paresse intellectuelle, la nécessité du mélange et de l'altérité, l'utopie à reconquérir et les révoltes à inventer. Subtil, toujours en mouvement à l'image de ses nombreux protagonistes, le roman invite à faire le pari d'un monde meilleur. On en a bien besoin...

 

Sabine Wespieser, 22 euros

Disponible en format numérique icibtn commande

histoires de la nuit mauvignierL'avis d'Anouk:

Un titre de livre pour enfants, une trame de thriller, un décor enraciné dans la campagne française: avec "Histoires de la nuit", Laurent Mauvignier emprunte un singulier chemin et pousse l'art du roman dans ses retranchements. Une audace folle et une éclatante réussite: "Histoires de la nuit" vous attrape comme peu de livres arrivent à le faire.

 

Quelques maisons perdues, que l'on entrevoit depuis une nationale «pour peu qu'on décide d'y prêter attention»: c'est le hameau des trois filles seules. Deux maisons seulement sont habitées, par Bergogne, agriculteur endetté, taciturne mais amoureux, et par Christine, une artiste qui a quitté Paris pour s'installer loin des bruits du monde. Il y a entre ces improbables voisins un tissu dense de complicité, d'attentions, de routines. Quand s'ouvre le livre, on s'apprête à ouvrir une brèche dans la vie ordinaire: ce soir-là, on fêtera les 40 ans de Marion, l'épouse de Bergogne. Ce soir-là ne sera pas comme les autres.

 

Le roman court le temps de quelques heures, entre la fin d'après-midi et la nuit. Laurent Mauvignier réussit avec une maîtrise confondante la fusion de la tension extrême et de la lenteur. Pour étirer ou accélérer le temps, il s'appuie sur une mécanique implacable de polar et creuse dans les schémas attendus des interstices où se déploie son écriture souple, précise, qui fouille au plus profond les recoins de l'âme.

 

On s'en voudrait d'en dire trop sur une intrigue haletante, qui se relance sans cesse et capture jusqu'à la fin l'attention et l'émotion du lecteur. Disons qu'il s'agit d'une histoire de vengeance, d'un huis-clos qui s'origine loin, dans les blessures mal cicatrisées des protagonistes. Laurent Mauvignier, comme dans tous ses romans depuis "Loin d'eux", fait parler avec justesse les voix intérieures. Il offre dignité et complexité à chaque personnage, jamais figé dans ce que l'on a cru percevoir de lui. Comme Christine face à ses toiles, les phrases reviennent sur leurs pas, font le tour de ce qu'elles cherchent à cerner, reprennent les motifs «pour qu'une forme qui soit pleine, irréversible, apparaisse».

 

"Histoires de la nuit" est un suspense addictif mais aussi une fresque sociale, une peinture fine de notre société, de ce que c'est que faire couple, faire famille, faire communauté aujourd'hui. Comme souvent, Laurent Mauvignier dépeint la vie de femmes et d'hommes qui peinent à se donner des horizons, coincés dans des vies trop étroites et dans des places assignées. Parfois ils pensent que la chance tourne, comme Bergogne qui rencontre Marion, fonde une famille et échappe à son destin solitaire. Parfois ils ont la volonté d'écrire de nouvelles pages et de recommencer, ailleurs, mieux, une vie qui ne leur convenait plus, comme Marion ou Christine. Mais pour qu'un destin s'infléchisse, il y a un prix à payer. Et c'est implacable.

 

C'est plutôt du côté des grands Américains, de Faulkner à Joyce Carol Oates, que l'on pourrait trouver des échos à ces "Histoires de la nuit". Pour la capacité à susciter la tension et à la maintenir de bout en bout, tout en conservant intacte l'exigence d'une écriture et d'une réflexion sur celle-ci. Pour la puissance de l'architecture narrative. Pour la mise à nu de l'expérience humaine dans ce qu'elle a de plus ordinaire et de plus extrême. Comme l'écrit David Forster Wallace, cité en exergue : « Il y a pourtant des secrets à l'intérieur des secrets – toujours ».

Éditions de Minuit, 24 eurosbtn commande

Disponible en format numérique ici