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encore un jour de pluie mossL'avis d'Anouk:

Une journée de vacances dans un coin d’Écosse perdu entre loch et montagne. Dans des cottages en bois plus tout à fait neufs, occupés par des familles aimant la randonnée et les vacances au grand air, le climat est tendu. C’est qu’il pleut sans arrêt depuis des jours. Une pluie inhabituelle, même en Écosse, qui rend presqu’impossible de mettre le nez et compromet la réussite de ce temps sacré des vacances…

Alors on s’observe, d’une fenêtre à l’autre les rideaux se soulèvent et l’on se demande si les locataires d’à côté sont plus heureux, si leurs vacances sont plus réussies. Sarah Moss s'immisce avec talent dans la tête de ses personnages et déroule le fil de leurs pensées – souvent noires. Les couples vacillent, les familles sont bancales, les vies pas si épanouies. Une mère de deux tout-petits accepte avec reconnaissance la proposition de son compagnon de sortir une heure avec les enfants, mais de cette solitude si désirée elle ne sait finalement que faire. Un couple âgé promène son ennui, deux jeunes amoureux ne le sont peut-être pas tant que cela, un ado préfère faire du kayak sous le déluge plutôt que  passer un moment de plus dans le chalet familial où les rancœurs macèrent.

Tant de vies saisies là, au plus près de leur intimité, dans un confinement forcé par la météo et qui révèle la solitude, les échecs, les failles de chacun.  Au fil des heures qui s’écoulent, la tension monte, exacerbée encore par la présence d’un étrange rôdeur et d’une famille qui ne cadre guère avec les autres vacanciers, tous membres relativement privilégiés de la middle class. Les Shevchenko font la fête toute la nuit, laissent leurs enfants errer sous la pluie, boivent et crient. Sarah Moss fait sentir avec justesse le mépris, voire le racisme, que suscite leur présence auprès des autres estivants. Jusqu’au drame final.

Sociologique et politique, le roman de Sarah Moss se déploie en outre dans une autre dimension, celle du temps long, de la sédimentation d’un paysage, de la violence des éléments naturels. La pluie n’est pas seulement un phénomène météorologique, c’est une force agissante qui replace la comédie humaine à sa modeste place. « Nous écrivons à la surface, mais la surface bouge »: Sarah Moss nous le fait percevoir avec une intelligence narrative rare.

Actes Sud, traduit de l'anglais par Laure Manceau, 22 eurosbtn commande

Disponible en format numérique ici

pays des phrases courtes pilgaardL'avis d'Anouk:

Si vous cherchez le livre qui va vous mettre le sourire aux lèvres de la première à la dernière page, vous surprendre et vous émouvoir, embarquez pour Le pays des phrases courtes: c'est un concentré de joie et de malice.

Bienvenue à Velling, minuscule village du Jutland où s'installent la narratrice, son chéri et leur bébé. Dans ce bout du monde où les mots sont comptés ("Je me demande comment j'apprendrai jamais à connaître quelqu'un ici, alors que les conversations s'arrêtent avant même d'avoir commencé") et les chances de distraction proches du néant, la jeune citadine est désœuvrée. Son mari est engagé dans l'école locale – ce qui nous vaut un portrait désopilant des pédagogies alternatives "à la danoise"– mais elle peine à trouver une place, mêle la plus insignifiante: elle serait déjà heureuse si on la regardait comme "un sous-verre Ikea". Aussi ses journées filent entre les leçons d'auto-école (elle a usé tous les moniteurs du cru), la vie avec un bébé sans prénom (elle n'arrive pas à se décider), les tentatives de trouver des amis et la rubrique qu'elle tient dans le journal local et où elle dispense des conseils plus loufoques les uns que les autres.

Tout cela, tissé serré par la plume vitaminée de Stine Pilgaard, donne un roman qui ne ressemble à nul autre, joyeusement barré et subversif, d'une incroyable drôlerie. Un portrait de femme à la dérive, désemparée par la maternité, et qui cherche à se libérer d'une vertigineuse solitude. "Pièce rapportée" dans la communauté scolaire où son compagnon semble tellement à l'aise, elle "souffre en permanence d'être entourée de gens trop heureux. Mon pessimisme est instinctif, il s'agit de maintenir un certain équilibre dans le cosmos". Construit à partir de bribes de quotidien, dans une succession de chapitres qui se suivent à toute allure, Le pays des phrases courtes est un livre qu'on ne peut pas lâcher. C'est que s'y joue la plus rocambolesque, la plus risquée, la plus palpitante des aventures: être soi parmi les autres. 

Facétieux, bourré d'humour et d'une inventivité sans limite: Le pays des phrases courtes est la lecture la plus ébouriffante de cet été!

Le Bruit du Monde, traduit du danois par Catherine Renaud, 21 €btn commande

Disponible en format numérique ici

maison atlas kaplanL'avis d'Anouk:

C'est un premier roman mais l'on sent derrière chaque phrase toute une vie d'écriture. Alice Kaplan est historienne, spécialiste de la vie des idées dans la France de l'après-Seconde Guerre Mondiale. En travaillant sur l'œuvre d'Albert Camus, elle s'est trouvé une ville de cœur, Alger. Et elle fait aujourd'hui d'Alger l'épicentre vibrant d'un passionnant roman.

C'est à Bordeaux pourtant que s'ouvre "Maison Atlas". Sur les bancs de l'université, deux étudiants se croisent, s'attirent, tombent amoureux. Elle est Américaine, fille de la petite bourgeoisie juive du Midwest. Lui appartient à la famille Atlas, qui perpétue l'héritage juif à Alger alors qu'une large part de la communauté a quitté l'Algérie après l'Indépendance. Emily et Daniel, l'Ashkénaze et le Séfarade, la fille des plaines nord-américaines et le Méditerranéen, les contraires qui s'aimantent. C'est le début des années '90. D'Algérie arrivent les échos inquiétants d'une guerre qui ne dit pas son nom et Daniel décide de rentrer, pour prendre le pouls de sa ville, pour apaiser les angoisses de sa mère. Pour les deux amoureux, la séparation devrait être brèvre, mais le temps de l'insouciance est révolu. Et Emily perd la trace de Daniel.

De retour aux États-Unis, Emily donne naissance à une petite fille, Becca. Et puis vient le jour où celle-ci éprouve le besoin de savoir qui est son père. Déterminée, Becca entreprend un voyage à Alger, en quête de traces de la famille Atlas. Un cheminement hasardeux, plein de doutes et de fausses pistes, mais qui lui permettra de faire la paix avec son "inquiète intensité".

Roman de transmission, "Maison Atlas" est une plongée intime dans l'histoire d'une ville malmenée par l'histoire et pourtant généreuse, forte, insoumise. Alice Kaplan sait faire place à l'absence, donner chair au silence, convoquer les fantômes. Elle insuffle d'un bout à l'autre du livre un je-ne-sais-quoi de modianesque, subtil et entêtant.  Une réussite!

Le Bruit du Monde, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Patrick Hersant, 21 €btn commande

Disponible en format numérique ici