"Depuis, le Paris où j'ai tenté de retrouver sa trace est demeuré aussi désert et silencieux que ce jour-là. Je marche  travers les rues vides. Pour moi, elles le restent, même le soir, à l'heure des embouteillages, quand les gens se pressent vers les bouches de métro. Je ne peux pas m'empêcher de penser à elle et de sentir un écho de sa présence dans certains quartiers.

J'ignorerai toujours à quoi elle passait ses journées, où elle se cachait, en compagnie de qui elle se trouvait (...). C'est là son secret. Un pauvre et précieux secret

que les bourreaux, les ordonnances, les autorités dites d'occupation, le Dépôt, les casernes, les camps, l'Histoires, le temps — tout ce qui vous souffle et vous détruit — n'auront pas pu lui voler."

Sublimement belles et bouleversantes, les dernières lignes de Dora Bruder, peut-être le plus beau livre de Patrick Modiano, semblent réseumer tout ce qui tisse son oeuvre depuis quarante ans. On y lit la quête de mémoire, le poids de l'histoire sur les destinées individuelles, la part de mystère comme un espace de liberté, la déambulation aussi dans un Paris décrit avec tant de précision qu'il en devient insaisissable.

Nous nous réjouissons aujourd'hui de ce Prix Nobel attribué à l'un des écrivains les plus singuliers de langue française. Une magnifique reconnaissance pour une oeuvre marquée par le manque, l'ombre et la discrétion.