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tous les hommes - duboisL'avis d'Anouk:

De roman en roman, Jean-Paul Dubois a créé un univers reconnaissable entre tous. Un univers accueillant et confortable, un cocon d'intimité où le romancier offre à ses lecteurs des histoires tout à la fois ordinaires et incroyables. Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon poursuit ce cheminement. On trouve tout dans ce roman généreux, tout ce qui fait le prix d'une vie d'homme: la tendresse et le déchirement, l'amour fou et le désespoir, quelques facéties du destin et même, face au ciel si vaste, une église ensablée.

Paul Hansen doit la vie à l'étonnante rencontre d'un pasteur danois et d'une Toulousaine grandie dans le cinéma qu'exploitaient ses parents. Entre la foi vacillante de son père et la cinéphilie passionnée de sa mère, Paul grandit sans se départir d'un sentiment d'étrangeté. Il est le spectateur étonné de ce couple de parents aimants mais si mal assortis, jusqu'à leur inévitable séparation –  «la fin d'un monde, le nôtre, celui des Hansen, celui de ces gens du Nord et du Sud qui avaient fait tant de kilomètres et tellement de sacrifices intimes pour s'allier (...), tout cela enduré jusqu'à l'os, pour finir séparés, disjoints, déchirés et rompus».

La «mise en liquidation de la famille Hansen» se double d'un éclatement géographique. Le père a fait tant d'efforts pour apprendre le français qu'il renonce à rentrer au Danemark. Il poursuivra au Québec, sans illusion, son oeuvre pastorale. Entre cocasserie et tragique, il y connaîtra le destin qui est souvent celui des pères dans les romans de Jean-Paul Dubois.

Quand Paul arrive à son tour dans cette lointaine Amérique, il ne sait pas encore qu'il va y faire sa vie – travailler, aimer, tracer une voie à sa modeste manière. Intendant d'une immense résidence montréalaise, Paul n'a pas son pareil pour veiller à l'entretien de la piscine, prendre soin de la pelouse, réparer les choses autant que les âmes dans cet univers miniature.

Puis un jour tout déraille...

C'est en prison que nous faisons la connaissance de Paul et déroulons au gré de ses souvenirs le film de sa vie. Il partage quelques mètres carrés et pas mal de complicité avec un «homme et demi», Horton, impressionnant Hells Angels dont la philosophie tient en un tatouage: «Life is a bitch and then you die». Horton et Paul forment un duo comme on en croise rarement – absolument inoubliable. Horton condense dans son imposante personne un sacré mélange de violence et de délicatesse. Il a la capacité de s'absorber dans la contemplation d'un catalogue de pièces pour motos comme un yogi dans sa méditation. La vie n'a pas été tendre avec lui et il le lui rend bien. Mais Horton, tout à ses marottes et entre deux réflexions fulgurantes, devient rapidement pour Paul plus qu'un compagnon de cellule. La fraternité qui se tisse entre les deux hommes, si elle naît d'une «communauté de destin fantaisiste», n'en est pas moins profonde, cimentée par tant de pertes et de renoncements et par leur haine tenace envers toute forme de domination.

Tour à tour émouvant, douloureux et fantastiquement drôle, Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon lance des passerelles vers les précédents romans de Jean-Paul Dubois. Pour ses lecteurs fidèles, c'est un plaisir exquis que de retrouver des Paul et des Anna, des dates fétiches, des Citroën DS, des dentistes sadiques, autant de petits cailloux semés avec malice. Tous les hommes... restera assurément comme l'un des grands livres de son auteur, plus lumineux, plus humaniste, plus incisif que jamais. Un livre de résilience et de liberté, «bricolé d'espérance et d'amour», et qui vous regarde droit dans les yeux.

 

FORMIDABLE PRIX GONCOURT 2019!

L'Olivier, 19 €btn commande

un monde sans rivage - gaudyL'avis d'Anouk:

Au départ, il y a des photos. Un petit trésor de photos prises en 1897 par Nils Strindberg lors d'une expédition en ballon vers le Pôle Nord. Strindberg et ses deux compagnons disparaissent tragiquement, et le mystère entourant cette disparition marque les esprits de la Belle Époque: recherches, enquêtes et folles rumeurs hantent durablement la Suède.


Trente-trois ans plus tard, on retrouve les corps des trois explorateurs, le journal tenu par Salomon Andrée, des lettres de Nils à sa fiancée et, miraculeusement préservés dans la glace, des rouleaux de  négatifs. Ils seront développés avec mille précautions et ces images miraculeusement sauvées des glaces feront le tour du monde.


Ces photos sont le point d'ancrage du livre d'Hélène Gaudy, fragiles empreintes qui lui font remonter le temps et s'enfoncer dans la profondeur blanche de l'Arctique. Les images sont comme «des paliers pour plonger en apnée, s'enfoncer, reprendre de l'air, s'arrimer aux détails, au minimum visible, et en passant de l'une à l'autre, jeter un regard aux gouffres qui les séparent, dont on ne perçoit qu'une rumeur, à peine un frémissement».


Le roman s'articule en fragments qui s'arriment à trois époques: le temps de l'expédition, le temps de l'exhumation des corps et de la découverte des images en 1930 et le présent de l'autrice. Cette écriture fragmentée fait écho à la mouvance du paysage polaire, où l'eau, la glace, la terre et le ciel se confondent et se transforment dans «la lumière trop forte qui révèle les détails avant de les noyer».


Magnifique méditation sur le temps et l'effacement, Un monde sans rivage rend aussi hommage,  dans le contexte si masculin d'une expédition polaire à la veille du 20e siècle, à une figure de femme libre et forte, Anna Charlier, éternelle fiancée de Nils Strindberg dont elle restitue les angoisses et le manque, le deuil impossible. Dans une langue poétique, qui varie les angles de vue et les perspectives, Hélène Gaudy rend vie et justice aux disparus autant qu'au paysage, et nous rappelle que la fascination pour l'Arctique renvoie chacun à cette «zone blanche qu'on porterait en soi comme une île».

Actes Sud, 21 €btn commande

poids plumes - malinconiL'avis d'Anouk:

Au début, il y a l'étonnement: un livre de Nicole Malinconi qui nous parle des oiseaux, quand tout son questionnement porte sur l'humain et ce qu'il recèle de plus secret, de plus enfoui, de plus retenu.

Et puis l'étonnement s'éloigne dès le premier texte lu – cette intranquillité, ce qui-vive, cette fragilité, c'est bien là le coeur de ce que Nicole Malinconi cherche à atteindre tout au long de son chemin d'écriture.


Observer les oiseaux et restituer leur façon d'être au monde et à la vie, c'est porter l'attention sur l'infiniment petit, c'est mettre des mots sur ce qui semble destiné à ne pas en avoir. C'est aussi  donner une forme à ce qui bouge et échappe. C'est un détour du regard pour apprendre à regarder mieux et à voir l'exceptionnel derrière la banalité. L'oiseau est l'incarnation de plus grand que lui: un paysage, la création, la vie. Dans les mots de Nicole Malinconi, l'insignifiance apparente des oiseaux est le miroir de notre propre fragilité. La menace de leur absence souligne les impasses de notre temps, et leur courage, leur obstination, leur ténacité sont comme des invitations à tenir et avancer.oiseaux2 crevecoeur

 

oiseaux1 crevecoeurLes textes qui s'égrènent au long de Poids Plumes sont doux et forts à la fois, marqués par une inconditionnelle et lucide bienveillance. Le conditionnel et le futur donnent chair à l'intranquillité, à la sensation de se tenir sur le fil. L'absence de communication entre celui qui regarde et celui qui est regardé n'empêche pas la relation. Et c'est là finalement ce qui semble nourrir chacun de ces textes subtils: tisser fil à fil notre relation à ce qui nous entoure – le monde, les êtres, les traces qu'ils laissent.

 

En écho aux mots de Nicole Malinconi, les délicates gravures sur gommes de Kikie Crêvecoeur sont un enchantement.

 

Esperluète, 15 €. À noter que la Revue Textyles consacre son dernier numéro à l'oeuvre de Nicole Malinconi; le dossier est coordonné par Laurent Demoulin et Pierre Piret.btn commande