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roitelet beaucheminL'avis d'Anouk:

Le roitelet est un roman pudique et délicat qui se tient comme ses personnages "toujours à la périphérie de la joie et de la peine, l'une se déversant dans l'autre et réciproquement, en quelque sorte".

On y suit un écrivain à l'aube de la soixantaine, plein de questions et de passions. Dans une généreuse campagne québécoise il vit auprès de sa femme Livia, du chat Lennon, d'un chien fantasque. Son frère n'est jamais loin, ce cadet qui porte depuis l'adolescence le mot si lourd de schizophrène et sur lequel l'écrivain veille avec douceur et tendresse. Le temps passe et tisse sa toile mais la douleur reste à vif: il faut composer avec elle, arriver à y trouver des éclats de poésie et de beauté. Texte bref, composé de courts chapitres poignants et ciselés, Le roitelet est aussi aérien et gracieux que l'oiseau qui lui offre son titre.

 

C'est ce moment qu'il a choisi pour prononcer ces mots déchirants de lucdité: "Je suis un puits sans fond. J'ai beau fouiller en moi, je n'aperçois rien qu'une nuit profonde. Je suis perdu." Et moi, l'écrivain, le spécialiste des mots, je n'ai pas su quoi lui répondre. Le soir tombait. De la forêt toute proche nous parvenaient les premiers hululements d'un hibou.

Éditions Québec Amérique, 16 eurosbtn commande

L'avis deLes contemplées Maryse:

2013, Tunis. À l’issue d’une manifestation violemment réprimée, Pauline, jeune activiste FEMEN française, est arrêtée et est emmenée manu militari à la Manouba, la prison pour femmes de la capitale tunisienne. Entre ses murs sans fenêtres, enfermée dans le Pavillon D – une cellule qu’elle partage avec vingt-huit codétenues –, un nouvel ordre du monde s’impose à elle. Privée de tout contact avec les siens et ignorant le sort que la justice tunisienne lui réserve – le jour où, sans sommation, elle est emmenée au tribunal pour assister à son procès, le traducteur garde le silence et baille aux corneilles tandis qu’avocats et procureur débattent furieusement de son cas en arabe –, Les Contemplations de Victor Hugo est l’unique livre de poche qu’elle a eu le droit d’emmener avec elle en prison. Bientôt, dans les marges de son bouquin, la jeune femme commence à écrire une autre histoire, celle des voleuses, tueuses, victimes d’erreurs judiciaires et autres femmes répudiées par cette société patriarcale à la dure. Des femmes (très) jeunes ou (beaucoup) moins jeunes qui partagent son quotidien en stagnation et qui, petit à petit, l’acceptent comme l’une des leurs, s’ouvrent à elle, se dévoilent, exposent leur vérité et deviennent les « Contemplées », à qui ce texte touchant est dédié.

Un roman autobiographique bouleversant, bel et bien empreint du feu qui habite l’ancienne militante FEMEN qui le rédige : une ferme dénonciation de la condition féminine en Tunisie et un appel puissant à la sororité partout et tout le temps. Mais Les Contemplées, c’est aussi et surtout un récit juste, émouvant et magnifiquement imprégné d’humanité.

Un gros coup de cœur pour cette lecture incandescente, de celles qu’on n’oublie pas !

Éditions La Manufacture de livres, 18,90 euros.btn commande

Jusquà la bêteL'avis de Maryse:

Ça se passe fin des années 2010 dans un abattoir, zoning industriel de la banlieue d’Angers. Erwan y est ouvrier à temps plein. Il turbine dur dans le froid pinçant des frigos, parmi les innombrables carcasses de vaches qui avancent à la queue-leu-leu. CLAC. Elles s’entrechoquent sur les rails. CLAC. Ça ne s’arrête jamais. CLAC. On doit accélérer la cadence. CLAC. On patauge dans des litres de sang. CLAC. Il ne faut pas penser, il faut bosser. CLAC. Pour alimenter l’ogre de la grande distribution, remplir ses rayons de barquettes de brochettes et de steaks hachés.

Sa vie à la chaîne – la même que celle de tant d’autres – est légèrement agrémentée des discussions gaillardes entres collègues galériens, des coups de gueules féroces des comparses syndicalistes, de quelques godets descendus après la pause au bistrot, des congés que, tout au long de l’année, on ne fait qu’attendre comme une délivrance. Puis, il y a Laetitia, une jeune saisonnière d’été, dont Erwan tombe amoureux : la trouée de lumière sur la grisaille du quotidien. De son enfance et de son adolescence restent les souvenirs d’un père tyrannique, des cours séchés, des virées avec le frangin tant adoré. Et il y a les angoisses. Mordantes. Celles qui le conduiront à commettre l’irréparable.

Jusqu’à la bête est un roman social contemporain puissant. Au-delà du parcours particulier d’un personnage tiraillé, complexe, bosselé et brossé à la perfection, c’est la condition ouvrière d’aujourd’hui qui est ici interrogée et examinée. C’est la France de province, ses petites mains, ses travailleurs pauvres, les vies compressées des laissés pour compte du néolibéralisme. Enfin et surtout, dans ce texte engagé, le lecteur est brutalement confronté à une écriture singulière, lacérée, efficace et incisive. Timothée Demeillers : une voix – des sans voix – hors norme, à lire de toute urgence.

Jusqu’à la bête est paru aux Éditions de l’Asphalte en 2017. Sa version de poche vient juste de sortir chez le même éditeur.

Extrait choisi :

Au moins deux ou trois ans, je me disais.

Au moins deux ou trois ans de retraite. Je ne demande pas vraiment plus. Deux ou trois ans. Et être encore suffisamment en forme pour profiter. Pour oublier tout ça. Après, je peux crever. Mais qu’on me donne au moins ça. Au moins ces quelques années de retraite. C’est ce qui se dit, à l’abattoir. Pour les rares qui réussissent à l’atteindre intacts. Ceux que les mêmes gestes répétés à l’infini sur quarante ans n’ont pas trop amochés. Les mêmes gestes. Les mêmes mouvements du corps. Les mêmes muscles qui travaillent. Les mêmes tendons, les mêmes os. Les mêmes os qui, au fil du temps se déforment, se calcifient. On devient des formes de mutants, à travailler à la chaîne. On devrait étudier ça en anatomie. Le corps d’un ouvrier à la chaîne. Les transformations du corps d’un ouvrier à la chaîne. Les douleurs. Les maux. La journée, ça va encore. Parce que les muscles sont chauds. Parce que les tendons sont chauds. Mais une fois au repos. La nuit. Les douleurs apparaissent. Les sales douleurs de trop répéter les mêmes mouvements mécaniques. Avec l’angoisse croissante de se dire que demain ça n’ira que plus mal. Parce qu’il faut y retourner. Il faudra recommence. Il faudra altérer son corps un peu plus encore. Et ne rien dire. Et se taire. Jusqu’à ce qu’on craque. Jusqu’à ce que le corps dise stop. Jusqu’à ce que la tête dise non. Les mêmes gestes, heure après heure. Jour après jour. On demandera peut-être un changement de poste. Un changement de poste qui veut juste dire un changement de geste. Aller abîmer un peu l’épaule après avoir bousillé le poignet. Quand le muscle, le tendon, l’os devient trop irrécupérable. Alors terminer sans encombre jusqu’à la pleine retraite, c’est l’aspiration de tous.

Tout comme quelques années de paix après l’usine.

Juste quelques années de retraite.

Asphalte/poche, 10€.

Disponible en format numérique ici. btn commande