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Ghost townL'avis de Maryse:

Septième enfant – et deuxième garçon – d’une grande fratrie, Chen Thienhong revient après une très longue absence sur les terres de son enfance, un patelin du cœur reculé de Taïwan, alors même que la Fête des fantômes y bat son plein. Par sa présence, il va bousculer les esprits de sa famille, jusqu’à en réveiller les fantômes, et révéler leurs secrets les plus profondément enfouis.

Le texte, une ample et sinueuse tapisserie, se tisse de fil en aiguille, au rythme des prises de paroles de chacun des membres de la famille que Chen Thienhong se doit d’affronter. On entendra ainsi le passé des cinq sœurs, que leur sexe faible et réprimé dans cette culture ô combien patriarcale a respectivement soumises à une violence inexorable, mais aussi celui – pathétique – du premier frère, de la mère, et même la voix du père, mort depuis plusieurs années et dont le point de vue presque omniscient éclairera la toile à plusieurs reprises.

Ghost Town : il y est fait référence à une ville fantôme du centre de l’île, dans une région délabrée, à la fois embourbée dans son conservatisme et envieuse de la modernité clinquante des villes côtières. Un endroit frappé de plein fouet par l’exode de sa jeunesse instruite et la décrépitude de ses activités, mais qui fête annuellement ses fantômes en grande pompe.

Ghost Town : c’est un roman choral virtuose – le premier fort bien traduit en français de cet écrivain à la renommée importante dans ses contrées – dont la charpente est construite solidement, d’une plume qui sait y faire. C’est un texte éminemment littéraire qui se déplie, morceau par morceau, invite le lecteur à explorer ses méandres et s’élabore sous ses yeux jusqu’à la dernière page.

Le Seuil, traduit du chinois (Taïwan) par Emmanuelle Péchenart, 23 €.btn commande

LapvonaL'avis d'Adrien :

"Lapvona" aurait pu s’appeler ‘Le livre de la foi’ car il y est question de foi en un Dieu, en des dieux, en la nature, en la magie. Il y est aussi évidemment question de foi en les autres, de foi en soi-même.
"Lapvona" aurait pu s’appeler ‘Le livre des fluides’ car on y rencontre du sang, du sperme, des larmes, de la morve, de la bave, des menstrues, du lait maternel, des excréments, de la boue, de la pluie, du vin, de la bière, de l’eau tout simplement... On en passe.
Sans détour, "Lapvona" s’appelle "Lapvona" car tout se passe dans le village de Lapvona, dans un temps qu’on pourrait dire médiéval dans un espace qu’on pourrait penser nordique. ‘Lapvona’ est un conte poisseux qui mêle effroi et causticité, on y plonge comme on entre dans une forêt maléfique dont on ne saurait s’extirper mais qu’on n’a pas envie de quitter. Suivez sans attendre les fortunes et infortunes du jeune Marek, fils d'un berger paria qui devint fils du Seigneur de Lapvona.

D’Otessa Moshfegh, nous avions adoré “Mon année de repos et de détente”, un récit très urbain et contemporain avec une héroïne plutôt autocentrée. On est dans tout autre chose ici mais c'est à nouveau tout aussi bluffant de maîtrise.
Cette grande autrice a également écrit deux autres romans et un recueil de nouvelles qui n’attendent que nous, qui n'attendent que vous. Foncez !

Fayard - traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Clément Baude, 22 € btn commande

trust diazL'avis d'Anouk:

Trust est un livre-matriochka: une collection de quatre romans si habilement emboîtés les uns dans les autres qu'elle en donne le vertige. Labyrinthique et brillant, le second roman d'Hernan Diaz nous parvient auréolé du Prix Pulitzer dans une épatante traduction de Nicolas Richard.

Au départ, il y a un texte on ne peut plus classique, un roman intitulé Obligations et signé Harold Vanner. On y suit la fulgurante ascension d'un homme d'affaire new-yorkais, Benjamin Rask, qui par son génie mathématique et son audace démultiplie la déjà confortable fortune familale. À New York, en ce début de 20e siècle, tout semble possible et l'optimisme est tapageur. D'un coup d'éclat à l'autre, Rask devient un magnat incontournable, l'un des rares à prospérer même sur les décombres de la Grande Dépression. Tandis que Rask poursuit la construction de son empire, son épouse Helen s'étiole et sombre peu à peu dans la folie. Elle meurt dans le luxueux sanatorium suisse où son époux l'a envoyée, victime d'une séance particulièrement violente d'électrochocs.

Le roman d'Harold Vanner est un best-seller, et ce n'est pas pour plaire à Andrew Bevel. C'est que c'est sa propre vie qu'il reconnaît dans les pages d'Obligations – sa vie et celle de son épouse Mildred, récemment décédée d'un cancer soigné en Suisse. Bevel veut rétablir la vérité et laver, surtout, l'honneur de Mildred qui n'a jamais côtoyé la maladie mentale. C'est la seconde partie de Trust, et elle vient invalider la première – nous, les lecteurs, nous nous sommes laissés berner par une fiction, un roman malveillant, d'autant plus scandaleux qu'Harold Vanner était un proche de Mildred et avait profité de ses largesses.

L'autobiographie partielle et fragmentaire que livre Andrew Bevel va elle-même être emportée par le souffle de la troisième partie du livre. Arrivée au soir de sa vie, Ida Partenza visite le musée qu'est devenu le manoir des Bevel. Elle se rappelle sa jeunesse et comment, à vingt ans à peine, elle s'est fait engager par Andrew pour faire de ses bribes autobiographiques un vrai livre de Mémores, quitte à enjoliver le passé, à mentir s'il le faut, à lisser l'image de son couple au point de rendre bien fade la figure de Mildred. Ida était jeune, elle n'a pas saisi les enjeux du tour de passe-passe que l'on attendait d'elle. Et même si le livre voulu par le magnat n'a pas vu le jour, Ida reste rongée par le sentiment d'avoir participé à une manipulation retorse: Bevel voulait par-dessus tout dissimuler l'intelligence de sa femme, dont il s'est sans scrupule approprié les plus belles intuitions.

Cinquante ans durant, Ida n'a cessé de penser à Mildred. Son obstination amènera l'ultime coup de théâtre de Trust: la découverte du journal de Mildred, où se lit à découvert tout ce qui a été caché, trahi, tronqué par son époux. La boucle se referme, et l'on en vient à se demander si Mildred n'est pas la véritable autrice du roman d'Harold Vanner...

De rebondissement en rebondissement, Hernan Diaz nous fait douter de tout, sauf du pouvoir infini de la littérature. En s'emparant des mythes fondateurs américains (l'individu tout-puissant, la fascination pour la fortune), il les subvertit avec une inventivité peu commune. Comme Ida qui a conservé précieusement un buvard de Mildred où s'inscrivait, à l'envers, les secrets qu'elle n'a pas réussi à percer, comme le père d'Ida, typographe anarchiste à qui son métier a appris à lire le monde à l'envers, Hernan Diaz nous partage un savoir de révolutionnaires: "ils savaient que la matrice du monde était inversée, et même si la réalité était à l'énvers, ils pouvaient la comprendre au premier coup d'oeil."

Brillant et subjuguant!

Éditions de l'Olivier, traduit de l'anglais (États-Unis) par Nicolas Richard, 23.50 euros

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